La problématique inaugurée par l’approche statistique consiste à comparer les entreprises à des valeurs types de ratios financiers. Le problème est d’identifier les ratios qui, par l’intermédiaire d’un traitement statistique, contribuent à différencier de manière significative les entreprises défaillantes des autres entreprises.
Ce type d’analyse nécessite l’utilisation d’un échantillon d’entreprises réelles, séparées en deux groupes : groupe d’entreprises défaillantes et groupes d’entreprises saines.
Les recherches, autour de cette approche, examinent le pouvoir prédictif des ratios financiers considérés de manière isolée.
L’analyse unie variée consiste à comparer, en premier lieu, la valeur moyenne des indicateurs des entreprises saines, mis au point par Beaver (1966). Une valeur critique est, en second lieu, déterminée pour tous les indicateurs dont les moyennes sont systématiquement différentes. Cette valeur servira pour le classement des entreprises.
Beaver a examiné pour chaque ratio pris isolément et par année, la valeur limite qui reclasserait le mieux les entreprises dans leurs groupes d’appartenance initiales. Il a trouvé que les cinq ratios suivants ont une capacité prédictive importante :
1.capacité d’autofinancement / dettes totales
2.bénéfice net / actif total
3.dettes totales / actif total
4.fonds de roulement / actif total
5.actif circulant / dettes à court terme
Parmi ces 5 ratios, le premier est considéré comme le plus important en reclassant correctement 87% des entreprises un an avant la cessation de paiement et 78% cinq ans auparavant.
La critique principale adressée concerne le pouvoir discriminant de chaque ratio financier puisque l’impact de chacun est étudié isolement. Cette approche ne peut donc rendre compte de l’interdépendance existante entre les différents ratios financiers.
Cette méthode ne permet pas une identification claire des entreprises défaillantes dans la mesure où deux indicateurs distincts peuvent conduire à des conclusions divergentes : une entreprise limite l’appréciation globale de la situation.
Donc, il semble préférable d’utiliser une technique multi variée pour sélectionner les indicateurs les plus aptes à prédire la défaillance.
II. L’approche statistique multidimensionnelle :
L’approche statistique multi variée repose sur le principe que le pouvoir prédictif des ratios financiers est additif (Edmister, 1972). Elle a pour objet de traiter un volume important d’informations en opposant deux ou plusieurs groupes d’entreprises définis au préalable sur la base d’un profil de comportement composé de plusieurs ratios, afin de rechercher parmi ces ratios la combinaison la plus significative des différences de comportements observés.
En effet, la principale méthode statistique utilisée dans cette approche pour l’évaluation du risque de défaillance est l’analyse discriminante. Donc, cette analyse se présente sous deux formes différentes : factorielle à but descriptif et décisionnelle.
1.L’analyse discriminante à but descriptif :
Cette technique permet de répartir un ensemble d’entreprises en deux groupes « défaillantes » et « saines » caractérisées chacun par les indicateurs de situations financières (ratios).
Toute entreprise est caractérisée par un ensemble de n ratio qui constituera ces coordonnées dans l’espace vectoriel n dimension. Géométriquement on obtient un nuage de N points.
Si deux entreprises sont proches l’une de l’autre, ceci indique qu’elles ont un comportement voisin et appartiennent à la même classe ; par contre deux entreprises qui sont éloignées indiquent tout à fait le contraire.
L’appartenance à l’une ou à l’autre classe se traduira en une notion de distance : la discrimination sera plus aisée que les variances intra classes seront minimales (entreprises des mêmes groupes proches) et que les variances interclasses seront maximales (groupes éloignés). Dans toutes analyses discriminantes, le nombre d’axes discriminants est égal au nombre de classes défini au départ moins un.
2.L’analyse discriminante à but décisionnel :
Il s’agit de la seconde étape de l’analyse discriminante, elle consiste à définir une règle de décision permettant d’affecter une entreprise totalement nouvelle sur la quelle on ne connaît que les ratios nécessités par la fonction score.
Cette dernière va nous permettre de calculer le score de l’entreprise et par la suite de connaître sa place avec une probabilité d’erreur.
Le but est de minimiser cette probabilité d’autant plus qu’il est évident que le coût d’une entreprise « saine » classée parmi les « défaillantes » n’est pas le même que celui d’une entreprise « défaillante » classée parmi les « saines ».
L’analyse discriminante à but décisionnel ne suppose aucun à priori quant au nombre et au choix de ratios à sélectionner dans la combinaison. Pour réduire le nombre de ratios et pour déterminer la meilleure fonction discriminante, il existe plusieurs types de procédures telles que : celle du Pas à Pas.
III. Présentation de quelques modèles discriminants :
Depuis la première étude en 1968, l’usage de l’analyse discriminante n’a cessé de se développer par les différentes études faites (Bilderbeeck 1977, Altman 1984, Vernimmen 1978, Zopounidis et Dimitras 1993, Tam 1991 et Kiang 1992).
1.Le modèle de Veronnault et Legault (1991) :
En 1991, Veronnault et Legault (1991) ont développé, présenté un modèle de prévision appelé CA Score sur la base d’un échantillon de 173 PME québécoises dont la moitié étaient des entreprises saines et l’autre moitié des faillis et qui analogue à celui d’Altman mais déterminé à partir de données plus récentes.
Les entreprises manufacturières, québécoises, ayant plus de 5ans d’existence et réalisant un chiffre d’affaires entre 1 et 20 millions de dollars.
Comme tout modèle statistique, les modèles de prévision de la faillite doivent être révisés lorsque les conditions présentes au moment de l’élaboration du modèle changent.
Toutefois, des chercheurs se sont intéressés à élaborer des modèles de prévision de la faillite parfaitement objectifs. Ces modèles, représentés sous forme d’équation algébrique, permettent d’obtenir un score qui détermine si l’entreprise analysée ressemble plus à une entreprise saine ou en faillite. L’utilisation de tels modèles peut permettre de gagner en objectivité mais risque de manquer de profondeur. Pour cette raison, ces modèles ne remplaceront jamais le jugement d’une personne. Ils servent plutôt d’avertisseurs.
2.La méthode des CREDITS MEN (1930) :
Il existe un certain compromis autour du classement de cette méthode puisque certains auteurs la classent parmi les modèles de l’approche empirique lors que d’autres la considèrent comme étant le premier modèle qui a ouvert la voie à la méthode du crédit scoring. Cette méthode est parfois appelée méthode de l’indice synthétique de Alexander Wall. Elle se fonde sur une combinaison de ratios en vue de déterminer un score (une note globale chiffrée) qui résume la qualité d’une entreprise au sein de son secteur.
L’entreprise est étudiée sous 3 angles :
- Le facteur personnel intervient pour 40% de la note globale.
- Le facteur économique intervient pour 20%
- La situation financière intervient pour 40%
Cette dernière partie de la note globale sera seule étudiée dans un premier temps, car elle est seule comparable aux autres types de notation. La note financière est obtenue à partir de 5 ratios révélateurs de la santé financière de l’entreprise. Ces 5 ratios relatifs à la firme seront ensuite comparés aux 5 ratios de l’entreprise type, médiane de la branche d’activité considérée. Cette confrontation permet d’obtenir 5 nouveaux rapports : R1, R2, R3, R4, R5, de la firme tel que :
On réalise enfin une combinaison linéaire des rapports précédents avec les pondérations définies au départ. On obtient ainsi un indice synthétique (IS) qui exprime l’évaluation d’ensemble de l’entreprise concernée.
L’interprétation de l’IS d’une entreprise sera comme suit :
- IS=100, on juge normale la situation financière ;
- IS>100, on juge bonne la situation financière ;
- IS<100, on juge préoccupante la situation financière et nécessitant une analyse approfondie.
Cette méthode inspire quelques critiques :
- Le choix des ratios et leur nombre sont faits de manière arbitraire.
- Seule l’expérience de l’analyse financière justifie la pondération attribuée aux ratios.
- La référence au secteur et à des valeurs types est délicate car l’affiliation d’une entreprise à une branche d’activités n’est pas forcément évidente.
- L’indice synthétique est une mesure relative et la qualité de sa valeur, pour une entreprise, relève de l’appréciation strictement personnelle de l’analyste.
3.La méthode de la banque de France (Bdf, 1982) :
Le score de la banque de France utilise le même système que celui du modèle Altman. La fonction score considère comme normales les entreprises avec une valeur supérieure à 0,125. Une présomption de graves difficultés financières est identifiée lorsque le score Z est inférieur à -0,25. Entre ces deux valeurs, le risque est incertain. La contribution du risque de faillite dépend du signe positif ou négatif des coefficients des ratios : ceux associés à un signe positif augmentent la valeur Z, donc diminuent le risque de faillite et inversement.
Dans la fonction score de la Bdf, la couverture des capitaux investis, le taux d’investissement physique, le taux de marge brute d’exploitation, le crédit clients et le taux d’investissement diminuent le risque, alors que la part des frais financiers dans le résultat économique brut, la capacité de remboursement et le crédit fournisseurs augmentent le risque.
Tableau 4 : La méthode de la banque de France
Ratios
Libellés du ratio
Coefficients
R1
Frais-financiers/résultat économique brut
-1,225
R2
Couverture des capitaux investis
+2,003
R3
Capacité-de remboursement
-0,824
R4
Taux de marge brute d’exploitation
+5,221
R5
Délais-crédit fournisseurs
-0,689
R6
Taux de croissance de la valeur ajoutée
-1,164
R7
Délais découvert clients
+0,706
R8
Taux d’investissements physiques
+1,408
La fonction score Z de la Bdf se présente sous cette forme :
Les chercheurs Tunisiens ont essayé de construire quelques modèles de crédits scoring et ce depuis 1981 ; les principaux sont :
- Le modèle présenté par Ben Chaabane en 1981
- Le modèle élaboré par Mamoughl en 1985
- Le modèle construit par Boumedienne en 1987
- Le modèle construit par jebali en 1987
Dans notre étude on se penchera sur le modèle le Boumedienne en raison de sa date la plus récente mais aussi au vu des résultats obtenus. Pour la présélection de l’échantillon, l’auteur a présente un échantillon initial composé de 2 groupes comprenant chacun 25 entreprises. Le premier est celui des entreprises « défaillantes », cette sélection a été faite sur la base de la disponibilité de l’information comptable une année avant la défaillance.
Le groupe des entreprises saines a été sélectionné sur la base d’un tirage au hasard par secteur d’activité à partir d’un échantillon de 35 entreprises.
La période d’étude de l’échantillon initial s’étend de 1984 à 1986 et l’échantillon considéré est composé de PME industrielle appartenant aux secteurs de textiles, industrie mécanique, agroalimentaire, industrie électrique et travaux publics.
Parmi la batterie de 52 ratios retenus initialement, seulement 27 ont été retenus définitivement pour l’analyse discriminante pour des raisons d’ordre pratique et après analyse de corrélation (l’auteur a considéré un coefficient de corrélation limite de 0,7).
La fonction discriminante obtenue qui n’a retenu que 9 variables sur les 27 ratios introduits est la suivante :
Tableau 5 : Les ratios du modèle de Boumedienne (1987)
N°du ratio
Désignation du ratio
1
Capitaux propres/ passif total
2
Fonds de roulement/Actif circulant
3
Dettes totales/Actif total
4
Fonds de roulement/stock moyen
5
Valeur ajoutée/ chiffre d’affaires
6
Dettes à LMT/ chiffre d’affaires
7
Fonds de roulement/ chiffre d’affaires
8
Résultat net/ capital social
9
Résultat net/ actif total
Sous l’hypothèse du score critique nul, la règle de réaffectation d’une entreprise à l’un des 2 groupes est la suivante :
- Si Z<0 => l’entreprise est considérée comme « défaillante »
- Si Z>0 => l’entreprise est considérée comme « saine »
La détermination des scores Z pour l’ensemble de l’échantillon, ainsi que l’application de la règle de réaffectation a permis à l’auteur de reclasser correctement l’échantillon c'est-à-dire d’obtenir un taux de bon classement de 100% une année avant la défaillance. Ce taux de classement présente la particularité du modèle de Boumediene.
Dans un but d’évaluer la fiabilité de la fonction discriminante précédemment établie, un échantillon test de 20 entreprises a été construit. Cet échantillon comprend 2 groupes composés de 10 entreprises chacun. L’appartenance sectorielle des 2 groupes d’entreprises correspond à celle de l’échantillon initial, de même en ce qui concerne la période de l’étude.
L’application de la fonction discriminante à l’échantillon a permis d’obtenir un taux de réaffectation égal à 90%.
Cette différence de 10% provient de biais liés à :
- L’échantillonnage : le but de l’analyse discriminante est de maximiser le nombre d’individus correctement classés. Le modèle établi est celui le plus performant pour les individus de l’échantillon initial. Ceci entraîne que le pouvoir discriminant réel pour la population à partir de la quelle l’échantillon est tiré n’est pas connu et ne pourra pas être évalué.
- La recherche : il s’agit du fait de considérer le plus grand nombre de variables explicatives et de ne retenir que celles qui conviennent le mieux à l’échantillon d’analyse.